L'esprit du Grenelle semble s'éloigner peu à peu… D'un côté, une table ronde organisée dans le cadre du Club Energie & Développement durable par le député François-Michel Gonnot (UMP – Oise) sous le haut patronage du Premier ministre, réunissant le ministère de l'Industrie et des représentants de l'industrie pétrolière. De l'autre, un contre-colloque d'information et de débats organisé par les associations opposées à l'exploitation du gaz de schiste, en présence du président socialiste du Conseil régional d'Ile-de-France, Jean-Paul Huchon, les deux manifestations se tenant parallèlement à quelques centaines de mètres l'une de l'autre dans le très chic 7e arrondissement de Paris.
La fracturation hydraulique interdite
"La France peut-elle se passer d'une ressource, les hydrocarbures de schiste ?", s'interroge François-Michel Gonnot. Les industriels, qu'il a réunis, répondent par la négative ou, tout du moins, souhaiteraient qu'on leur laisse les moyens de pouvoir répondre à cette question. La loi votée en juillet le permet-elle ?
Philippe Geiger, sous-directeur à la DGEC rappelle qu'elle prévoit trois choses : l'interdiction de la technique de la fracturation hydraulique, l'abrogation des permis de recherche utilisant cette technique et la mise en place d'une commission de suivi chargée notamment "d'évaluer les risques environnementaux" liés à cette technique.
Sur les 64 permis existants, les ministres chargés de l'écologie et de l'industrie en ont abrogé trois : deux de la société américaine Schuepbach qui avait indiqué faire appel à la technique interdite et l'un de Total dont le rapport "n'était pas crédible" selon Nathalie Kosciusko-Morizet. Le pétrolier français a d'ailleurs annoncé fin novembre qu'il déposait un recours visant à faire annuler l'arrêté abrogeant son permis.
Pour les 61 permis restants, les industriels ont déclaré ne pas avoir besoin de la fracturation hydraulique pour poursuivre leurs activités. Il s'agit de gisements conventionnels "pour l'essentiel", indique Philippe Geiger.
Car, selon les industriels, la frontière entre hydrocarbures conventionnels et non-conventionnels n'est pas aussi tranchée que pourraient le croire les non-spécialistes. Et les techniques utilisées pour les gaz de schiste ne sont pas nécessairement des techniques nouvelles. Beaucoup sont utilisées de longue date par l'industrie pétrolière. Pour Bruno Courme, directeur de Total Gas Shale Europe, "la vraie question n'est d'ailleurs pas celle des techniques mais celle de l'intensité industrielle de leur utilisation".
Un trésor économique potentiel
L'enjeu pour les industriels est celui de ne pas passer à côté d'un "trésor économique", selon les mots de Peter Sider, vice-président des opérations en Europe de Vermilion REP. Trésor économique, qui présenterait également l'avantage de réduire la dépendance énergétique de la France. La production française de pétrole décroît car les puits ont dépassé leurs pics de production. Or, les études théoriques indiquent que le potentiel de production additionnelle serait considérable, voire le plus important d'Europe. "Il faut donc vérifier ce potentiel sur le terrain", indique Emmanuel Mousset, directeur général de Toreador Energy France.
Cela passe par des essais et des recherches supplémentaires. "Les expérimentations peuvent se poursuivre, confirme Philippe Geiger, mais uniquement à des fins de recherche scientifique, sous contrôle public", comme le prévoit la loi. La Commission nationale de suivi, qui doit être mise en place par un décret actuellement soumis à l'examen du Conseil d'Etat, devra d'ailleurs émettre un avis sur les conditions de mise en œuvre de ces expérimentations.
La question de "savoir comment sortir de l'interdiction française" posée par les organisateurs du colloque est sans doute encore prématurée. "Toutes les entreprises françaises vont suivre la loi", rassure Emmanuel Mousset. "Il ne s'agit pas de remettre en cause la loi", se justifie également François-Michel Gonnot, contredisant le programme de son colloque. Pourtant, si les expérimentations menées par les industriels confirment le potentiel de la France en hydrocarbures non conventionnels, la question de l'exploitation va bel et bien se poser.
La France a souhaité ne pas suivre le même chemin que les Etats-Unis qui ont réglementé a posteriori les exploitations de gaz de schiste. Mais elle pourrait le faire a priori, après avoir étudié les avantages et les inconvénients d'une telle exploitation. "Il n'y a toutefois pas de fatalité à cette exploitation, indique Philippe Geiger, "il peut être possible et légitime de la refuser".
Les opposants s'organisent
Ces propos sauront-ils rassurer les opposants ? Il semble que non. Les collectifs locaux contre les gaz et huiles de schiste se sont réunis les 14 et 15 janvier à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) en coordination nationale. Ils dénoncent le soutien gouvernemental au colloque organisé par François-Michel Gonnot et appelaient à participer au contre-colloque organisé par le collectif Ile-de-France au Conseil régional. Plus largement, ils dénoncent "les opérations des industriels et de certains élus visant à vouloir « rendre la technique acceptable », s'asseyant sur la loi votée et la volonté de millions de citoyens".
A la lecture des rapports remis par les industriels dans le cadre de la loi, "il est évident, pour la coordination, que de nombreux autres permis devraient être abrogés sur la même base que l'ex-permis de Total : certains industriels ont manifestement omis d'indiquer qu'ils utiliseraient la fracturation hydraulique, aujourd'hui pourtant interdite en France".
Le réseau Rhônalpin des collectifs opposés à l'exploitation des gaz et huiles de schiste pointe lui aussi la "porte de derrière" prévue par l'article 2 de la loi qui prévoit la possibilité de mener des "expérimentations". "Nous restons (…) convaincus que les industriels envisagent d'avoir recours à la technique de fracturation hydraulique puisque la loi, vidée de sa substance, leur apporte une « sortie » sur un plateau", s'indigne le collectif.
Une lecture de la loi qui ne semble pas si éloignée de celle faite par les industriels.